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08 Aug

09 août 1792: Jean-Baptiste Cléry raconte

Publié par Louis XVI  - Catégories :  #Journal de Cléry

Je commencerai donc ce journal à l'époque du dix août mil sept cent quatre-vingt-douze, jour affreux, où quelques hommes renversèrent un trône de quatorze siècles, mirent leur roi dans les fers, et précipitèrent la France dans un abyme de malheurs.

 

J'étois de service auprès de monsieur le Dauphin à l'époque du dix août.

  9 Août

Dès le matin du neuf, l'agitation des esprits étoit extrême, des groupes se formèrentdans tout Paris, et l'on apprit avec certitude aux Tuileries le plan des conjurés.

 

Le tocsin devoit sonner à minuit dans toute la ville, et les Marseillois réunis aux habitans du fauxbourg St. Antoine, devoient aussitôt marcher pour assiéger le château.

 

Retenu par mes fonctions dans l'appartement du jeune prince et auprès de sa personne, je n'ai connu qu'en partie ce qui s'est passé à l'extérieur; je ne rendrai conipte que des événemens dont j'ai été le témoin pendant cette journée , où ï'on vit tant de scènes différentes, même dans le palais.


Le neuf au soir, à huit heures et demie, après avoir fait le coucher de monsieur le Dauphin , je sortis des Tuileries pouf chercher à connoître l'opinion publique.

 

Les cours du château étoient remplies d'environ huit mille gardes nationaux de différentes sections, disposés à défendre le Roi.

 

J'allai au Palais-Royal dont je trouvai presque toutes les issues fermées : des gardes nationaux y étoient sous les armes , prêts à marcher aux Tuileries pour soutenir les bataillons qui les avoient précédés ; mais une populace agitée par les factieux remplissoit les rues voisines, et ses clameurs retentissoient de toutes parts.


Je rentrai au château vers onze heures par les appartemens du Roi.

 

Les personnes de sa cour, et celles de son service s'y rassembloient avec inquiétude.

 

Je passai dans l'appartement de monsieur le Dauphin, d'où un instant après, j'entendis sonner le tocsin et battre la générale dans tous les quartiers de Paris.

 

Je restai dons le salon jusqu'à cinq heures du matin avec Mcle. de St. Brice, femme de chambre du jeune prince.

 

A six heures, le Roi descendit dans les cours du château , et passa en revue les gardes nationaux et les Suisses qui jurèrent de le défendre.

 

La Reine et ses enfans suiyoient le Roi.

 

On entendit dans les rangs quelques voix séditieuses : elles furent bientôt étouffées par les cris mille fois répétés de Vive Le Roi ! Vive La Nation !

 

L'attaque des Tuileries ne paroissant pas encore prochaine, je sortis une seconde fois, et je suivis les quais, jusqu'au Pont-neuf.

 

Je rencontrai par-tout des rassemblemens de gens armés dont les mauvaises intentions n'étoient pas douteuses;ils portaient des piques, des fourches, des haches, des croissans.

 

Le bataillon des Marseillais marchoit dans le plus grand ordre avec ses canons, mèche allumée: il invitoit le peuple à le suivre, pour l'aider, disoit-il, a faire déloger le tyran et proclamer sa déchéance à l'assemblée nationale.

 

Trop certain de ce qui alloit se passer, mais ne consultant que mon devoir, je devançai ce bataillon, et regagnai aussitôt les Tuileries.

 

Un corps nombreux de gardes nationaux en sortoit en désordre par la porte du jardin vis-à-vis le Pont-royal.

 

La douleur étoit peinte sur le visage de la plupart d'entre eux.

 

Plusieurs disoient : "Nous avons juré ce matin de défendre le Roi, et au moment où il court le plus grand danger, nous l'abandon "

 

Les autres du parti des conspirateurs, injurioient, menaçoient leurs camarades, et les forçoient à s'éloigner.

 

Les bons se laissèrent ainsi dominer par les séditieux; et cette foiblesse coupable, qui jusque - là avoit produit tous les maux de la Révolution, fut encore le commencement des malheurs de cette journée.


Après bien des tentatives pour pénétrer dans le palais, je fus reconnu par le suisse d'une des portes , et je parvins à entrer.

 

J'allai sur-le-champ à l'appartement du Roi, et je priai quelqu'un de son service d'instruire Sa Majesté de tout ce que j'avois vu et entendu.


A sept heures  les inquiétudes augmentèrent par la lâcheté de plusieurs bataillons qui abandonnoient successivement les Tuileries.

 

Ceux des gardes nationaux, qui restoient à leur poste, au nombre de quatre ou cinq cents, montrèrent autant de fidélité que de courage ; ils furent placés indistinctement avec les Suisses dans l'intérieur du palais, aux différens escaliers, et à toutes les issues.

 

Ces troupes avoient passé la nuit sans prendre aucune nourriture, je m'empressai avec d'autres serviteurs du Roi, de leur porter du pain et du vin, en les encourageant à ne point abandonner la famille royale.

 

Ce fut alors que le Roi donna le commandement de l'intérieur de son palais à MM. le maréchal de Mailly, le duc du Chdtelet, le comte de Puységur  le baron de Viomènïl, le comte d'Hervillyy le marquis du Pujet etc.

 

Les personnes  de la cour et du service furent distribuées dans différentes salles, après avoir juré de défendre jusqu'à la mort la personne du Roi .

 

Nous étions environ trois ou quatre cents  mais sans autres armes que des épées ou des pistolets


A huit heures, le danger devint plus pressant.

 

L'Assemblée législative tenoit ses séances dans le bâtiment du manège donnant sur le jardin des Tuileries : le Roi lui avoit adressé plusieurs messages pour lui faire part de la position où il se trouvoit, et l'inviter à nommer une députation qui l'aidât de ses conseils; l'Assemblée, quoique l'attaque du château se préparât sous ses yeux, n'avoit fait aucune réponse.


Quelques instans après, on vit entrer le département de Paris et plusieurs municipaux, ayant à leur tête Roederër, alors procureur-général-syndic.

 

Roederer, sans doute d'accord avec les conjurés, engagea vivement Sa Majesté à se rendre avec sa famille à l'Assemblée: il assura que le Roi ne pouvoit plus compter sur la garde nationale ; et que s'il restoit dans son palais, ni le département, ni la municipalité deParis ne répondoient plus de sa sureté.

 

Le Roi l'écouta sans émotion ; il rentra dans sa chambre avec la Reine, les Ministres et un petit nombre de personnes, et bientôt après il en sortit pour se rendre avec sa famille à l'Assemblée.

 

Il étoit entouré d'un détachement de Suisses et de gardes nationaux.

 

De toutes les personnes du service, Mde. la princesse de Lamballe , et Mde. la marquise de Tourzel, gouvernante des enfans de France, eurent seules la permission de suivre la famille royale.

 

Mde. de Tourzel, pour ne pas quitter le jeune prince, fut obligée de laisser aux Tuileries Mlle, sa fille , âgée de dix-sept ans, au milieu des soldats.

 

Il étoit alors près de neuf heures.


Forcé de rester dans les appartemens, j'attendois avec terreur la suite de la démarche du Roi : j'étois aux fenêtres qui donnent sur le jardin.

 

Il y avoit déjà une demiheure que la famille royale étoit à l'Assemblée, lorsque je vis sur la terrasse des Feuillans quatre têtes placées sur des piques, que l'on portoit du côté du lieu des séances du corps législatif.

 

Ce fut là, je crois, le signal de l'attaque du château, car au même

instant un feu terrible de canon et de mousqueterie se fit entendre.

 

Les balles et les boulets cribloient le palais.

 

Le Roi n'y étant plus, chacun ne s'occupa que de sa propre sureté ; mais toutes les issues étoient fermées, et une mort certaine nous attendoit.

 

Je cours de toutes parts : déjà les appartemens et les escaliers étoient jonchés de morts; je me détermine à sauter sur la terrasse par une des fenêtres de l'appartement de la Reine.

 

Je traverse rapidement le parterre pour gagner le Pont Tournant.

 

Un gros de Suisses, qui n'avoit précédé, se rallioit sous les arbres.

 

Placé entre deux feux, je revins sur mes pas pour gagner l'escalier neuf de la terrasse du bord de l'eau: je voulus sauter sur le quai, le feu continuel qui partoit du Pont-Royal m'en empêcha.

 

Je m'avançai du même côté jusqu'à la porte du jardin de monsieur le Dauphin ; là, des Marseillois qui venoient de massacrer plusieurs Suisses, les dépouilloient.

 

L'un d'eux vint à moi, une épée sanglante à la main: "Comment, citoyen, me dit-il, tu es sans armes? prends cette épée, aide  nous à tuer "

 

Un autre Marseillois s'en empara.

 

J'étois en effet sans armes, et vêtu d'un simple frac ;si quelque chose eût indiqué que j'étois de service au château, je n'eusse pas échappé.

 

Quelques Suisses poursuivis, se réfugièrent dans une écurie peu distante de là, moi-même je m'y cachai : ces Suisses furent bientôt massacrés à mes côtés.

 

Aux cris de ces malheureuses victimes, le maître de la maison, M. le Dreux accourut : je profitai de cet instant pour entrer chez lui, et sans me connoître M. le Dreux et sa femme m'engagèrent à rester, jusqu'à ce que le danger fût passé.

 

J'avois dans ma poche quelques lettres, des journaux à l'adresse du Prince Royal et une carte d'entrée aux Tuileries sur laquelle étoient écrits mon nom et la nature de mon service ; ces papiers auroient pu me faire reconnoitre : j'eus à peine le temps de les jeter.

 

Aussitôt une troupe armée vient visiter la maison pour s'assurer si des Suisses n'y étoient point cachés ; M. le Dreux me dit de faire semblant de travailler à  des dessins placés sur une grande table.

 

Après une recherche inutile , ces hommes , les mains teintes de sang, s'arrêtèrent pour raconter froidement leurs assassinats. Je restai dans cet asile depuis dix heures du matin jusqu'à quatre heures du soir, ayantsous les yeux le spectacle des horreurs qui se commirent sur la place de Louis XV.

 

Des hommes assassinoient, d'autres coupoient la tête des cadavres ; des femmes oubliant toute pudeur les mutiloient, en arrachoient des lambeaux, et les portoient en triomphe.


Pendant cet intervalle, Mde de Rambaut, femme de chambre de monsieur le Dauphin, qui n'avoit échappé qu'avec peine au massacre des Tuileries , vint aussi se réfugier dans cette maison ; quelques signes que nous nous fîmes nous engagèrent au silence.

 

Les fils de nos hôtes, qui dans ce moment arrivèrent de l'assemblée nationale, nous apprirent que le Roi, suspendu de ses fonctions y étoit gardé à vue avec la famille royale dans la loge du rédacteur du Logographe, et qu'il étoit impossible d'approcher de sa personne.


Je résolus alors -d'aller retrouver ma femme et mes enfans dans une maison de campagne à cinq lieues de Paris, que j'habitois depuis plus de deux ans : mais les barrières étoient fermées, et je ne devois pas abandonner Mde. de Rambaut.

 

Nous convînmes de prendre la route de Versailles où elle demeuroit; les fils de nos hôtes nous accompagnèrent.

 

Nous traversâmes le pont Louis XVI couvert de cadavres nus , déjà putréfiés par la grande chaleur; et, après bien des dangers, nous aortimes de Paris par une brèche qui n'étoit point gardée.


Dans la plaine de Grenelle, nous fûmes rencontrés par des paysans à cheval qui crièrent de loin en nous menaçant de leurs armes: "Arrête, ou la mort "

 

L'un d'eux me prenant pour un garde du roi, me coucha en joue et alloit tirer sur moi, lorsqu'un autre proposa de nous conduire à la municipalité de Vaugirard.

 

"II y en a déjà une vingtaine, disoit-il, l'abatis sera plus grand "

 

Arrivés à la municipalité, nos hôtes furent reconnus: le maire m'interrogea.


" Pourquoi dans le danger de la patrie n'es-tu pas à ton poste ? Pourquoi quittes-tu Paris ? Cela annonce de mauvaises intentions "

 

— " Oui, oui " cria la populace, en prison, les aristocrates , en prison. 

 

— " C'est précisément, répondis-je , parce que je voulois me rendre à mon poste, que vous m'avez rencontré sur la route de Versailles, où je demeure; c'est là qu'est mon poste?  comme c'est ici le vôtre."

 

— On interrogea aussi Mde. de Rambaut : nos hôtes assurèrent que nous disions la vérité, et l'on nous délivra des passeports.

 

Je dois rendre grâce à la providence de n'avoir pas été conduit à la prison de Vaugirard: on venoit d'y enfermer vingt-deux gardes du roi, que l'on conduisit ensuite à l'Abbaye, où ils furent massacrés le deux septembre suivant.

 

De Vaugirard à Versailles, des patrouilles de gens armés nous arrêtèrent à chaque instant pour vérifier nos passe-ports.

 

Je conduisis Mde. de Paimbaut chez ses pareils, et je partis aussitôt pour me rendre au sein de ma famille.

 

La chute que j'avois faite en sautant par une fenêtre des Tuileries , la fatigue d'un voyage de douze lieues , et mes réflexions douloureuses sur les déplorables événemens qui venoient de se passe , m'accablèrent tellement, que j'eus une fièvre très-forte.

 

Je gardai le lit pendant trois jours: mais inpatient de savoir le sort du Roi, je surmontai mon mal, et revins à Paris.

 

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