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09 Aug

10 août 1792

Publié par Louis XVI  - Catégories :  #[1789-1793]

Constitution de la commune insurrectionnelle à Paris
Fichier:Berthault - Das Volk von Paris vor dem Rathaus.jpg
Prise des Tuileries

Le dernier assaut (10 août 1792)

 

  Napoléon est spectateur du massacre des Cent-Suisses aux Tuileries et du départ de Louis XVI ; ces scènes dramatiques lui inspireront durablement une certaine méfiance envers les couches populaires.

 

Le manifeste de Brunswick - Veillée d’armes - La revue de la garde nationale

 

L’étincelle qui détermine l'explosion, c'est le manifeste du duc de Brunswick daté de Coblentz, le 25 juillet.

 

Cette déclaration imbécile et, pour qui sait l'état des choses, criminelle menace, au nom de la coalition austro-prussienne, la Ville de Paris « d'une exécution militaire et d'une subversion totale, s'il est fait la moindre violence, le moindre outrage a LL.MM. le Roi et la Reine et à la famille royale »

Messe aux Tuileries, juillet-août 1792 - par Hubert Robert - Collection Henri Loyer

L'effet du manifeste est prodigieux. Les journaux monarchistes y ont applaudi follement. Une amère, une tragique fureur secoue les quartiers populaires. Les Alliés ont jeté leur gant à la Révolution; la Révolution le relève. « Il faut, s'écrie Robespierre aux Jacobins, que le peuple français soutienne le poids du monde. » Le 3 août, par la voix de Pétion, quarante-sept sections sur quarante-huit réclament de la Législative la déchéance du roi, ( qui a séparé ses intérêts de ceux de la nation », la nomination de nouveaux ministres par l'Assemblée et l'élection d'une Convention nationale. Le parti constitutionnel s'effondre; les extrémistes sont maîtres de Paris.

Des trois chefs de la gauche, Danton, Marat et Robespierre, celui-ci seul pousse ouvertement à l'insurrection. Marat, décontenancé dès qu'il faut agir, se cache dans un souterrain des Cordeliers, ne sort que la nuit. Danton se réserve pour profiter de l'événement, quel qu'il soit. Du 31 juillet au 9 août, il est chez lui à Arcis-sur-Aube, se promène dans ses champs que ses filoutages n'ont cessé d'agrandir.

Pétion et les Girondins, eux, préféreraient éviter l'émeute. D'abord ils ne sont pas assez certains de son succès. Puis, mal informés, ils gardent des espérances du côté de la cour.

Manifeste du Duc de Brunswick - Archives Nationales

L'assaut est préparé pour le 10 août. Les Marseillais se sont fait remettre poudre et balles par la municipalité. La cour le sait. Le commandant par roulement de la garde nationale, le marquis de Mandat, constitutionnel sincère et ferme soldat, doit diriger le peu de forces dont elle dispose. Les Suisses, appelés de leur caserne de Courbevoie, sont neuf cents. La garde nationale, très douteuse, sauf le bataillon des Filles-Saint-Thomas, a placé onze canons aux abords immédiats du palais. La gendarmerie à cheval, composée surtout d'anciennes gardes-françaises, n'est pas plus sûre.

Au total on ne peut compter que sur quinze ou seize cents hommes fidèles. Et ils manquent de munitions.

Marat vainqueur de l'aristocratie est tiré par Diogène du Caveau où il s'était réfugié - gravure allégorique du temps

La façade intérieure des Tuileries, la plus vulnérable, donne sur trois cours, au centre la cour Royale, à droite la cour des Suisses ou des Ecuries, à gauche la cour des Princes. Séparées par des murs ou des bâtiments peu élevés, elles ouvrent toutes sur le Carrousel alors encombre d'une multitude d’hôtels et de maisons, où serpentent des rues étroites, tout un quartier enchevêtré, confus, qui ne s’aère que vers le quai.

Mandat, ayant peu de monde, s'est surtout proposé de défendre les cours où il a posté des Suisses et des grenadiers. Il a pourtant massé des gardes nationaux dans le jardin et placé des canons au Pont-Neuf et à l'Arcade Saint-Jean, derrière l'Hôtel de ville, pour arrêter les émeutiers à leur descente des faubourgs.

Pétion - dessin de Laplace - B.N. Estampes

La journée du 9 passe en préparatifs. Le roi et la reine ne voient paraître que quelques familiers. Aucune dame du palais ne se présente. Marie-Antoinette reçoit une seule visite, celle de l'ambassadrice d'Angleterre, lady Sutherland. Une énorme foule, où les fédérés marseillais se font remarquer par leur jactance, borde jusqu'à la nuit les murs et les grilles du château. Le tambour bat dans les tues illuminées. Les sections regorgent et s'agitent. Suivant le plan établi, chacune d'elles nomme trois commissaires pour remplacer le conseil général de la Commune, trop constitutionnel. Investis de pouvoir illimités, ils se rendent aussitôt à l'Hôtel de ville et s'y réunissent dans une salle proche de celle où siège le Conseil qu'ils n'osent pas tout d'abord expulser.

Les meneurs sont à leurs postes : Merlin de Thionville et les deux vicaires généraux de Blois, Chabot et Vaugeois, haranguent les sections, le haineux Chaumette chauffe les Marseillais à la caserne des Cordeliers, Fournier l'Américain court le faubourg Saint-Marceau, Santerre et Westermann travaillent le faubourg Saint-Antoine. Après avoir été l'âme du mouvement, Robespierre s 'évanouit dans l'air. Marat se réfugie dans son caveau. Danton évite de se rendre à son club. Il passe seulement à sa section - celle du Théâtre Français pour faire sonner, signal attendu, la cloche des Cordeliers, puis revient se jeter sur son lit avant de se rendre à l'Hôtel de ville.

"Madame sans culotte" - gravure du temps

A onze heures du soir, Louis XVI, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth confèrent dans le cabinet du roi avec les ministres, le président du directoire de la Seine La Rochefoucauld et le procureur-général-syndic Roederer.

Peu après arrive Pétion, appelé à plusieurs reprises par Mandat qui voudrait s'appuyer sur son autorité et peut-être le tenir en otage. Les yeux furtifs, il déclare qu'il est venu « en personne pour veiller à la sûreté du roi et de sa famille ».

- Il paraît, dit Louis, qu'il y a beaucoup de mouvement.

- Oui, sire, la fermentation est grande.

Mandat assure que ses mesures sont prises; il répond de tout. Mais il se plaint que la municipalité lui ait refusé de la poudre :

- Je n'ai que trois coups à tirer, et encore un grand nombre de mes hommes n'en ont pas un seul et ils murmurent.

Pétion répond vaguement.

Que pourrait-il dire ? Qu'il a dans ce refus suivi le conseil de Danton ? De mauvaise grâce, en sa qualité de maire il signe l'ordre de repousser la force par la force, si le château est assailli. Prétextant l'extrême chaleur, il descend alors sur la terrasse. Il y est mal reçu par les gardes nationaux loyalistes des Filles-Saint-Thomas. Dès lors il ne songe plus qu'à se mettre à l'abri. Par la connivence de Mouchet, il se fait appeler à la barre de l'Assemblée qui a repris séance. Il court au manège et de là chez lui où il s'enferme pour la nuit.

Marie-Antoinette - miniature anonyme de 1792 - Musée Lambinet

Cette nuit suffocante est emplie des sons lugubres du tocsin. La cloche des Cordeliers a commencé, puis celle de Saint-André des Arcs et - cloches des quartiers les plus révolutionnaires - celles des Gravilliers, de Mauconseil, des Lombards et du faubourg Saint-Antoine. Blanchie par la lune, sous les milliers de lumières, la ville semble une immense chapelle ardente. Dans les rues quelques ombres de-ci, de-là, quelques paroles étouffées. Mais autour des Tuileries tout est veille et mouvement.

Dans les appartements, sauf les enfants royaux, personne ne s'est couché. Le roi s'entretient avec son confesseur Hébert, puis va s'allonger sur un canapé, Marie-Antoinette et Mme Elisabeth vont de pièce en pièce, attentives à tout bruit, agitées mais courageuses et décidées à mourir sur place plutôt que de céder à l'émeute.

"Monsieur sans culotte" - gravure du temps

D'heure en heure Roederer reçoit de son secrétaire Blondel un billet sur la situation. La rue Saint-Antoine s'emplit de nouveau de groupes armés. Le tambour bat sans arrêt. Un ministre demande s'il n'y a pas lieu de proclamer la loi martiale. Roederer, grave dans son habit vert pomme, s'embarque dans des arguties de chicaneau. Il soutient que le département n'a pas ce droit, mais la municipalité seule.

Il feuillette le livret tricolore qu'il tient à la main. Mme Elisabeth vient vers lui, curieuse :

- Qu'est ce que vous tenez-là? demande-t-elle.

- Madame, c'est la loi de la force publique.

- Et qu'y cherchez-vous?

- Je cherchais s'il était vrai que le département eût le pouvoir de proclamer la loi martiale.

- Eh bien, l'a-t-il?

- Madame, je ne le crois pas.

A la vérité il l'a, et mille fois. Mais Roederer ne veut point se compromettre. Tout est indécis encore. Le mouvement populaire piétine. On dit autour du roi « Le tocsin ne rend pas.» Et les espérances renaissent. Mais nul ne prend l'initiative qui pourrait leur donner corps.

Défense et attaque attendent ainsi le jour qui, lui, décidera. Il va venir. Un peu avant quatre heures, Mme Elisabeth pousse un contre-vent et regarde le ciel rougissant.

- Ma sœur, dit-elle à la reine, venez donc voir le lever de l'aurore.

Toutes deux, appuyées l'une à l'autre voient naître le soleil pour la dernière fois.

Danton est arrivé à l'Hôtel de ville. Par la désertion du maire, la Commune régulière a perdu tout pouvoir. Danton, pour désorganiser la défense des Tuileries, fait appeler Mandat à la maison commune. Le commandant ne veut pas d'abord quitter son poste. Roederer, soumis aux formes et d'avance prêt aux renoncements, le presse d'obéir. Mandat se rend à ses raisons.

Journée du 10 août 1792 - gravure du temps

 

Arrêté sur l'ordre de la Commune insurrectionnelle, il est peu après abattu d'un coup de pistolet sur les marches de l'Hôtel de ville. Coup grave pour les Tuileries : elles ont perdu leur principal défenseur. La Chesnaye remplace Mandat, mais il manque d'autorité. Roederer s'agite; il déclare à la reine qu'il est nécessaire que la famille royale se rende a l'Assemblée. Marie-Antoinette refuse:

- Monsieur, il y a ici des forces, il est temps enfin de savoir qui l'emportera du roi et de la Constitution ou de la faction.

Le procureur-syndic qui par cette reddition pensait se couvrir, désapprouve, d'un ton déférent. Il finit par obtenir que deux des ministres, Champion et Joly, iront demander assistance à l'Assemblée.

Cependant la reine ne s'abandonne pas. A six heures, poussé par elle, le roi descend au jardin pour passer les troupes en revue. Pâle, bouffi, vêtu d'un habit violet froissé, ses cheveux sont aplatis d'un côté et dépoudrés. Il marche comme un automate; par instants il murmure des mots sans suite Non qu'il ait peur. Mais tandis qu'au 20 juin, si sa contenance a été passive, il n'a pas rompu d'un pas, ce 10 août il apparaît à tous dans un état d'affaissement, presque d'hébétude, peut être dû au manque de sommeil, sans doute aussi à la conviction qu'au point où l'on en est, rie n n'importe plus.

Attaque des Tuileries, le 10 août 1792 - dessin de Prieur - Musée Carnavalet

 

Cette revue des troupes, il la tente sans grand espoir. Un rien de flamme, d'esprit à la Henri IV raffermirait ces troupes hésitantes ou déjà aliénées. Si seulement il apparaissait à cheval ! Mais Louis est si peu le petit-fils d'Henri IV, il est si peu leste et français ! Tandis que les tambours battent «aux champs », il passe dans les rangs, de son pas dandiné, promenant sur les soldats un morne regard.

Les Suisses et les gardes nationaux fidèles crient : « Vive le roi !» Mais les artilleurs et le bataillon de la Croix-Rouge crient - « Vive la Nation !» Et, quand il gagne la terrasse des Feuillants, devant la foule hurlante, il est assailli par de basses insultes: « A bas le veto ! A bas le gros cochon ! » Plus pâle encore, le malheureux revient sans avoir trouvé que ces mots dérisoires : « J'aime la garde nationale. » Plusieurs bataillons font défection. Des canonniers, «pour ne pas tirer sur leurs frères », rendent inutilisables leurs canons et vont se joindre aux hommes à piques, avant-garde des émeutiers des faubourgs qui, d'abord massés sur la place de Grève, affluent maintenant sous les murs du château.

A sept heures les fédérés marseillais et bretons et le bataillon des Gobelins entrent au Carrousel.

Quand Marie-Antoinette voit remonter le roi, triste et découragé, elle ne peut retenir ses larmes :

- Tout est perdu !... dit-elle à Mme Campan.

 

 

Départ des tuileries - Le château emporté - Emprisonnement de la famille royale

 

Tout est perdu? Non, pas encore si l'on garde son sang-froid. Le château, bien mis en défense par Mandat, peut longtemps tenir contre l'insurrection, mal armée après tout, et qui n'a pour la commander qu'un seul soldat véritable, l'adjoint de Santerre, l'Alsacien Westermann. Si des maladresses, des froissements inutiles ont divisé les gardes nationaux et les gentilshommes postés à l'intérieur et dans les cours, les Suisses montrent une résolution militaire. Mais Roederer qui a déjà parlementé avec les insurgés, souffle sur le roi, sur la reine, sur les ministres, son haleine panique. Joly et Champion sont revenus. La Législative, en nombre insuffisant, ne peut rendre de décret, apporter aucun secours. Elle plaint peut-être le roi, mais avant tout elle tremble pour elle.


La Prise des Tuileries le 10 août 1792 par Jean Duplessis-Bertaux, Musée du château de Versailles

La Prise des Tuileries le 10 août 1792 par Jean Duplessis-Bertaux, (Musée du chateau de Versailles)

 

 

 

- Sire, dit Roederer, d'un ton animé, Votre Majesté n'a pas cinq minutes à perdre. Il n'y a de sûreté pour elle que dans l'Assemblée nationale... Vous n'avez pas dans les cours un nombre d'hommes suffisants; leur volonté n'est pas bien disposée.

- Mais, réplique Louis, je n'ai pas vu beaucoup de monde au Carrousel.

- Sire, il y a douze pièces de canon, et il arrive un monde immense des faubourgs.

La reine ne veut pas s'abandonner ainsi...

- Mais, monsieur, répète-t-elle, nous avons des forces.

- Madame, tout Paris marche...

Vergniaud - dessin par Duranceau - Musée Lambinet

Ce n'est pas vrai. Les insurgés sont tout au plus dix mille, et leur masse est flottante, s'agrège mal. Que le château tienne quelques heures et l'Assemblée pourra agir, le sentiment public se retourner. Témoin l'attitude même des instigateurs de l'insurrection : Marat piétine dans sa cave et Robespierre dans son grenier. Roederer alors se fait de plus en plus pressant :

- Sire, ce n'est plus une prière que nous venons vous faire, nous vous demandons la permission de vous entraîner.

Pour un peu, dans son ardeur à fuir, il prendrait Louis par les épaules...

Le roi, assis près d'une table, les mains sur les genoux, reste muet. La reine se débat encore:

- Quoi, sommes-nous seuls ? Ne peut-on agir ?

- Oui, madame, seuls, l'action est inutile, la résistance impossible.

Et il ajoute :

- Songez, madame, à la responsabilité dont vous vous chargez.

Louis regarde longuement Roederer. Puis il se retourne vers la reine et, se levant, dit

- Allons, il n'y a plus rien à faire ici... Marchons.

Mme Elisabeth s'avance

- Monsieur Roederer, vous répondez de la vie du roi ?

- Oui, madame, sur la mienne, je marcherai immédiatement devant lui.

Il demande à Louis XVI de ne prendre avec soi personne de sa cour pour se rendre à l'Assemblée. Le suivront seulement les magistrats du département et les ministres. La reine obtient pourtant que Mmes de Lamballe et de Tourzel soient admises à l'accompagner.

- Nous serons bientôt de retour, dit-elle à Jarjayes...

La famille royale traverse le jardin entre deux haies de Suisses et de gardes nationaux. Le roi a pris au passage le chapeau d'un soldat; il suit Roederer. Les ministres donnent le bras aux princesses. La reine tient par la main son fils ! qui souvent lui échappe pour gambader dans l'amas des feuilles rassemblées par les jardiniers.

- Voilà bien des feuilles, dit Louis, elles tombent de bonne heure cette année.

Nul ne répond. Le cortège va lentement jusqu'à la terrasse des Feuillants. A peu de distance du degré, une députation de la Législative vient au-devant des souverains pour leur offrir asile. Une multitude encombre la terrasse et proteste: «Non, ils n'entreront pas à l'Assemblée; Ils sont la cause de tous nos malheurs ! »

L'Assemblée envahie par la foule qui invective la famille Royale réfugiée dans la loge du logographe - dessin de Gérard - Musée du Louvre

Il faut attendre plus d'un quart d'heure, tant la presse est forte et menaçante. La reine est assaillie d'invectives. On lui vole sa montre et sa bourse. Le dauphin lui est arraché par un sapeur qui va le déposer dans la salle du Manège sur le bureau des secrétaires. Le roi est moins maltraité.

Enfin le cortège peut reprendre sa marche et pénétrer dans la salle. Tandis que sa suite s'assied au banc des ministres, Louis va se placer à gauche du président Vergniaud :

- Je suis venu ici, dit-il, pour éviter un grand crime et je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu'au milieu de vous, messieurs.

Vergniaud répond d'une phrase de parade :

- Sire, l'Assemblée met au rang de ses devoirs les plus chers le maintien de toutes les autorités constituées, nous saurons tous mourir à notre poste pour le remplir...

Cette promesse, on va voir comme elle sera tenue...

Chabot, le ton rogue, observe que l'Assemblée ne peut délibérer en présence du roi. Il est conduit alors avec les siens dans une étroite loge, placée derrière le fauteuil du président, et qui sert d'habitude aux rédacteurs du journal Le Logographe. La famille s'y entasse comme elle peut. Le roi assis sur le devant, suit les débats, impassible, avec sa lorgnette de poche. La reine se tient un peu en arrière, les joues ardentes, les yeux étincelants D'esprit, elle est encore avec les défenseurs des Tuileries. On entend la fusillade et bientôt l'ébranlement du canon.

D'Hervilly - gravure du temps

Du moment que le roi l'a abandonné pour chercher refuge à l'Assemblée, le château ne devrait plus être défendu; surtout il ne devrait plus être attaqué. Mais la porte de la Cour Royale, on ne sait par quel ordre, s'est ouverte devant l'avant-garde des insurgés, composée des Marseillais des fédérés bretons, de gardes nationaux des Gobelins, de canonniers du Val-de-Grâce, conduits par Westermann qui, gesticulant, monte un petit cheval noir. Ils arrivent jusqu'aux grilles qui forment le vestibule du château en criant aux défenseurs «Frères, rendez-vous, venez avec nous » Ils mettent en même temps en batterie six pièces abandonnées sur les côtés de la cour Quelques Suisses jettent leurs cartouches par les croisées. Un certain nombre de gendarmes se retirent, au cri de « Vive la nation ! »

Bien encadrés, habitués à une discipline stricte, la plupart des Suisses, quoique le départ des deux compagnies qui ont accompagné la famille royale à l'Assemblée les ait fort réduits, sont encore capables de résistance. Certains sont aux fenêtres avec des gentilshommes volontaires, d'autres ont été massés sur les marches du grand escalier qui descendant des appartements et de la chapelle débouche dans le vestibule. Mêlés aux habits bleus des Filles-Saint-Thomas, protégés par une espèce de barricade, le fusil en joue, ils attendent l'attaque.

Le billet du Roi aux Suisses - Musée Carnavalet

La horde de Santerre s'est avancée au pied de l'escalier Westermann, en allemand, parlemente avec les Suisses. Recourbant leurs piques dont ils font des crochets, des insurgés attirent quelques gardes par leurs buffleteries Les officiers suisses commandent alors de tirer...

Un feu bien réglé, bien nourri, prend en enfilade cette masse grouillante où chaque coup fait plusieurs victimes... Dès la première décharge les morts jonchent le pavé; les survivants de fuir à toutes jambes vers la porte Royale. Cent vingt Suisses, conduits par les capitaines Dürler et Pfyffer, s'emparent de quatre pièces de canon, déblaient la cour et, pénétrant dans le Carrousel, tirent à mitraille sur les Marseillais, peleton de tête des insurgés.

Fauchés presque à bout portant, ceux-ci évacuent la place.

Clermont-Tonnerre - dessin anonyme - B.N. Estampes

 

Mais le gros, les forces des faubourgs, arrive en colonnes par le quai.

 

Vers dix heures, ce qui reste des Marseillais le rejoint et la bataille recommence.

 

Les Suisses dès lors sont entre deux feux.

 

Ils manquent de munitions. Les insurgés les repoussent avec des pertes sévères et, cour après cour, les forcent à se replier sur le château.

 

L'Assemblée, avertie par plusieurs émissaires, suit les péripéties de la lutte dans une extrême agitation. Dans son désarroi, elle use le temps en résolutions vaines. Elle met la sécurité des personnes et des propriétés sous la sauvegarde du peuple de Paris ! Elle envoie des corrimissaires pour « calmer » ledit peuple. Tout cela au bruit de la mitraille. Des gardes nationaux armés entrent et annoncent faussement du reste - que le «château est forcé ». La foule alors pénètre dans l'Assemblée, criant à la trahison des Suisses, à la perfidie du roi. Elle demande vengeance contre les « assassins du peuple »

 

Louis XVI, pressé par de nombreux représentants de mettre un terme au massacre, écrit deux lignes sur un bout de papier: «Le roi ordonne aux Suisses de déposer à l'instant les armes et de se retirer dans leurs casernes. » Le maréchal de camp d'Hervilly, ancien chef de la garde constitutionnelle, s'offre à porter ce billet aux Tuileries. Il se réserve d'ailleurs d'en faire « l'usage qu'il jugerait le plus avantageux », c'est-à-dire qu'il ne le transmettra que si les Suisses ont vraiment le dessous.

 

Nu-tête, sans armes, d'Hervilly se glisse à travers les rues et court jusqu'au Carrousel. Habits bleus et rouges confondus jonchent le sol. Une fumée épaisse emplit les cours. Au mépris des balles, d'Hervilly rallie les Suisses et veut d'abord continuer la résistance. Mais les patriotes ont déjà envahi le château par la galerie du Louvre. D'Hervilly exhibe alors l'ordre du roi et fait battre la retraite par les quelques tambours qu'il peut trouver. Une partie des Suisses gagne le jardin et arrive au Manège, ayant perdu au passage moitié au moins de son effectif. D'autres qui sont restés à l'intérieur du château s'y défendent avec un tranquille héroïsme jusqu'au complet épuisement de leurs munitions. Après quoi ils sont égorgés.

 

Un petit détachement, marchant en bon ordre sous un feu terrible, parvient à gagner la place Louis XV. Là les soldats sont entourés par la gendarmerie à cheval ralliée aux émeutiers, conduits à l'Hôtel de ville, interrogés vaguement par Huguenin et massacrés. Partout où ils tombent, la plupart des cadavres sont dépouillés et mutilés avec un acharnement obscène, presque toujours par des femmes, affreuses harpies dont les premières ont parue aux 5 et 6 Octobre et qui vont accompagner désormais chaque « journée » de la Révolution.

Les insurgés à cette heure ont conquis le château.

 

Ceux des aristocrates, des serviteurs du roi qui n'ont pu fuir, et ils sont nombreux encore dans les appartements, sont tués et jetés par les fenêtres. Meurt ainsi, parmi beaucoup d'autres, l'ancien constituant Clermont-Tonnerre qui, déplorant ses premières illusions, est venu défendre son roi.

 

Les femmes en général sont épargnées.

 

La princesse de Tarente, Mlle de Tourzel, Mme Campan ainsi échappent. « Lève-toi, coquine, dit à cette dernière un Marseillais, la nation te fait grâce»

 

Plusieurs femmes de la reine, quelques gentilshommes sont conduits à la prison de l'Abbaye.

Le Temple - miniature du temps - collection particulière

Du haut en bas du château, des cuisines aux greniers, tout est saccagé, les meubles, tableaux, objets d'art brisés, détruits. A la vérité peu de vols. Les bijoux de la reine, une malle d'argenterie, de nombreuses sommes d'argent sont portés à l'Assemblée ou à la commune. Une quinzaine de voleurs pourtant sont pris. Le peuple, séance tenante, les pend à la lanterne ou les fusille place Vendôme.

 

A onze heures la lutte s'achève. De nombreux bâtiments annexes des Tuileries brûlent entre les cours. Ont péri six cents Suisses, deux cents gentilshommes et serviteurs. Les assaillants ont environ quatre cents tués et blessés. Sans le manque de munition, imputable à Pétion, il est probable qu'ils n'auraient pu triompher de la résistance valeureuse des Suisses. L'attaque ayant échoué, le roi aurait pu être repris à l'Assemblée et ramené au château. La Révolution dès lors prenait un autre cours...

 

Nul ne l'a mieux senti que ce jeune artilleur en retrait d'emploi, Napoléon Bonaparte, qui a vu déjà le 20 juin et qui, le matin du i o août, suit les péripéties du combat de la boutique de Fauvelet, frère de son ami Bourrienne, en plein Carrousel. Il a rencontré sur son chemin « un groupe d'hommes hideux promenant une tète au bout d'une pique », et qui l'ont invité à crier:

« Vive la Nation ! » ce qu'il a fait sans difficulté car il est patriote. Mais tout patriote qu'il soit, quand il gagne le jardin des Tuileries, il est saisi d'horreur devant l'hécatombe des Suisses. C'est de ce jour qu'il prend le mépris de la démagogie et des suites qu'elle entraîne. Il pourra biaiser avec elle pour parvenir, ce mépris profond ne le quittera plus.

 

Les Girondins se trouvent dans un embarras mortel. Ils ont laissé faire le 10 Août, ne l'ont pas - sauf Pétion - favorisé autrement que par leur inertie. Ils sont épouvantés des excès du peuple. Tout ce qu'ils désirent actuellement, c'est faire prononcer la suspension du roi et, ayant repris le pouvoir, rétablir l'ordre. Mais ils ne sont plus les maîtres.

 

Les maîtres, ce sont les insurgés, c'est la nouvelle Commune, c'est Robespierre, Marat, reparus au jour le danger passé, c'est plus encore Danton qui, maintenant, se targue d'avoir préparé et gagné la bataille populaire. Les insurgés les pressent par des députations menaçantes. Et la Commune vient signifier à l'Assemblée son installation et la mettre en demeure d'agir. Elle exige la déchéance du roi, l'élection d'une Convention nationale qui décidera de son sort. C'est ce que Pétion réclamait déjà le 3 août. Avec sa lâcheté coutumière la Législative obéit.

L'Assemblée, en attendant la publication de son décret, fait afficher partout dans la ville ce placard : « Le roi est suspendu. Sa famille et lui restent en otages »

 

Le mot est prononcé. Louis XVI n'est plus qu'un otage, presque un condamné. Encore deux jours et les dernières formes seront abolies.

 

Les ministres étant chargés du gouvernement pendant la vacance du pouvoir, sous le nom de Conseil exécutif, la Gironde fait la part belle aux extrémistes. Danton est nommé ministre de la Justice par deux cent vingt-deux voix sur deux cent quatre-vingt-quatre votants. Le défroqué Lebrun-Tondu reçoit les Affaires étrangères et Monge, grand savant mais benêt politique, la Marine. Les trois ministres du cabinet girondin, Roland, Servan et Clavière, pour la vengeance de qui en somme la monarchie est tombée, sont réintégrés dans leurs fonctions.

De sa logette, Louis XVI a assisté avec flegme à sa chute définitive. Il est résigné à tout. Son appétit de Bourbon triomphant des pires catastrophes, tandis qu'on dépèce la royauté, il découpe tranquillement un poulet. Par instants, amical, il s'entretient avec Vergniaud ou tel ou tel des députés placés près de lui.

La reine, elle, est restée reine. Aucun souci des besoins matériels; elle n'est esclave ni du sommeil ni de la faim. Attentive à tous les bruits du dehors, aux diatribes des délégations populaires, aux homélies angoissées des démagogues qui sont pris maintenant à la nasse par eux tendue, elle soutient la tête de son fils qu'anéantit l'extrême chaleur. Tandis que les Suisses meurent en héros pour le prince qui les a abandonnés, elle ne baisse pas sa tête fière aux yeux battus sur qui les insultes passent sans qu'elle tressaille. Elle en a déjà tant entendu !...

L'atroce épreuve ne finit qu'à une heure du matin. La famille royale est alors conduite à un petit logement de quatre pièces dépendant du couvent des Feuillants. Elle y couche sur des lits de fortune, des matelas jetés sur le plancher. De rares fidèles, quelques serviteurs sont demeurés cette première nuit près d'elle. Le lendemain, le roi, craignant pour eux, les oblige à le quitter. C'est un trait noble de sa nature qu'il pense toujours aux autres avant de penser à soi. Le baron d'Aubier, gentilhomme de sa chambre, jette sur la table un rouleau de cinquante louis.

Prévoyance précieuse. La famille royale manque de tout, elle n'a de linge et d'habits que ce que vont lui envoyer l'ambassadrice d'Angleterre et la duchesse de Gramont.

Le lendemain l'Assemblée saoule de peur livre le roi à ses ennemis.

Le Luxembourg a été assigné pour résidence à Louis XVI et à sa famille. La Commune y met obstacle sous prétexte qu'on peut s'en échapper par les catacombes. L'Assemblée désigne alors l'hôtel de la Chancellerie, place Vendôme. Pétion et Manuel, son acolyte, viennent aussitôt protester. Ce n'est pas un hôtel, c'est une prison qu'on veut. Et l'Assemblée s'incline, elle remet «la garde du roi et de sa famille aux vertus des citoyens de Paris » !

La vertueuse Commune porte son choix sur le Temple, non sur la charmante demeure habitée naguère par le prince de Conti, mais sur l'antique donjon, la noire tour qui a servi de trésor aux Templiers. Le soir du 13 août, escortée des hurlements de la populace, la famille royale est transportée des Feuillants au Temple. En passant elle peut voir, place Vendôme, la statue de Louis XIV jetée à bas.

 

Le dernier assaut (10 août 1792)

3

Danton dictateur - Pour sauver la France

Par son entrée au ministère, Danton est devenu comme il l'avait calculé, le grand bénéficiaire du 10 Août. Entouré de collègues très médiocres, depuis Roland jusqu'à Lebrun-Tondu, il se voit le maître du Conseil exécutif. Une bande de cyniques l'entourent: Camilles Desmoulins, « le procureur de la Lanterne », tour à tour sentimental ou féroce, Fabre d'Eglantine, poète obscur, comédien sifflé, constant chevalier d'industrie, Hérault de Séchelles, ancien parlementaire, viveur luxueux que le plaisir dévore. Ils veulent des places, de l'argent.

La statue de Louis XIV, Place des Victoires, est abattue par la foule - dessin de Prieur - Musée Carnavalet

On comprend qu'ils se soient attachés a Danton qui ne se gênait pas pour s’écrier en public « Cette garce de Révolution est ratée les patriotes n'y ont rien gagné ! » Voilà les patriotes au pouvoir; ils vont rattraper le temps perdu.

Danton n'a pas seulement la justice dans les mains, il a le maniement de mille affaires, il a aussi les fonds secrets. Ce n'est pas sans raison qu'on a appelé Danton le « Mirabeau de la canaille». Il lui ressemble étrangement, et d'abord par les vices. Tous deux sont d'effrénés jouisseurs, et pour jouir, tous deux se sont vendus.

Mirabeau avait plus de tenue, Danton a plus de débraillé, mais on retrouve chez l'un comme chez l'autre la même sorte d'âme fissurée, à la fois active et paresseuse, débordant de sanie et d'éclairs. Seulement chez le bourgeois de Champagne, si jovial d'apparence, si plein de faconde, apparaît un manque d'équilibre, un détraquement que n'a pas connu l'aristocrate provençal.

Camille Desmoulins - dessin aux trois crayons par J.-B. Suvée - collection particulière

Danton est un neurasthénique et presqu'un demi-fou. A deux ans d'intervalle, l'un et l'autre échouent et de pareille manière, parce qu'il n'ont pu inspirer confiance à personne. Tous deux tombent victimes de leur immoralité. Danton a le coffre, les bras d'un lutteur. Son muffle léonin, comme la « hure » de Mirabeau, est couturé par la petite vérole. Sous un large front, ses yeux petits et vifs s'ombragent d'épais sourcils. Il a le nez aplati par un accident de jeunesse, mais, pour laid qu'il soit, il plaît par son entrain, sa gaieté, un certain charme vulgaire. Fils d'un homme de loi d'Arcis-sur-Aube, après de bonnes études il est devenu clerc de procureur à Paris, puis, avec la dot de sa femme, fille d'un cafetier, a acheté une charge d'avocat aux conseils du Roi. Il plaide un peu, vit à l'aise, fêtant ses amas, faisant de la popularité dans le quartier Saint-Sulpice où il s'est logé. Quand arrive juillet 1789, Danton, qui a prédit l'avalanche, s'y jette aussitôt. Tout le porte à la politique, son gros tempérament, sa facilité de parole, son goût de l'intrigue, son affiliation à la maçonnerie. Dès lors il est un des principaux agitateurs de Paris. Il domine sa section comme il domine son club des Cordeliers, tout en jouant un rôle aux Jacobins.

Le pouvoir qu'il a attrapé par l'incohérence des Girondins, il entend le porter à une véritable dictature. Eux s'appuient sur la province; lui s'appuie sur Paris. Dans un moment si tendu, Paris, croit-il, doit prévaloir.

Fabre d'Eglantine - par Chabrapières - collection particulière

La Commune insurrectionnelle s'est complétée par la nomination de trois nouveaux délégués par section. Dans cette fournée entrent Robespierre, Chaumette, Billaud-Varenne, Pache, Laclos. Ainsi renforcée, elle peut défier les efforts de la Législative si celle-ci tentait de revenir à un état de choses normal. Elle met sur pied le tribunal extraordinaire voté par l'Assemblée et fait débarrasser le Carrousel pour y dresser, en permanence, la guillotine.

Ici, ce n'est pas Danton qui la pousse, mais Robespierre, et davantage encore Marat, qui chaque jour demande un plus grand nombre de têtes. Le 19 août, ce tribunal de sang entre en fonctions. Le 21 aux flambeaux, un pauvre diable de royaliste, maître d'écriture, passe sous le couperet. Les jours suivants, six autres condamnés subissent le même sort parmi lesquels le loyal Laporte et le journaliste royaliste Durozoy.

Premières exécutions à la guillotine, Place du Carrousel - gravure du temps

L'Assemblée, de son côté, a mis en accusation, mais renvoyé devant la Haute Cour d'Orléans Barnave, Charles de Lameth et les anciens ministres Duportail, Duport-Dutertre, Bertrand de Moleville, Tarbé et Montmorin. Garde-manger de l'ogre, il servira pour la frairie de Septembre.

A la nouvelle de l'emprisonnement de la famille royale, La Fayette a fait arrêter les commissaires délégués à son armée et a voulu marcher sur Paris. Mais ses troupes l'abandonnent. Il passe alors la frontière avec quelques officiers, Latour-Maubourg et Alexandre de Lameth. Appréhendé aux avant-postes autrichiens, il va, de geôle en geôle, gagner la citadelle d'Olmütz, où il pourra pendant cinq ans méditer sur les aléas de cette liberté, qu'il a tant servie, dont il a souffert, et qui l'enivrera toujours.

L'Assemblée défère son commandement a Dumouriez, Kellermann remplace Lückner.

Le moment du vrai choc est venu. Le 19 août Brunswick, avec 60.000 Prussiens, 20.000

Autrichiens, quelques milliers d'émigrés prend l'offensive. Le 23, Longwy, après une molle résistance, se rend. A Paris, l'émotion est profonde. L'Assemblée décide que la ville une fois reprise sera rasée et elle ordonne des levées nouvelles.

Danton - esquisse de Boze - collection particulière 

L'épouvante est dans Paris, elle est chez les députés, elle est dans le gouvernement. Les ministres girondins estiment la situation militaire sans espoir et veulent se retirer au-delà de la Loire en emportant le Trésor et le roi. Il y a longtemps que, les yeux sur la carte, Roland y songe et fait des calculs. Les Girondins ont toujours détesté, redouté Paris. Abandonnant à son sort la capitale orageuse où leur influence s'est diluée, perdue, ils comptent recourir aux provinces, c'est-à-dire à la vraie France. Danton s'y oppose. Il faut, gronde-t-il, se maintenir à Paris. Car c'est à Paris qu'il règne, lui, avec son alliée, la Commune; ailleurs il ne serait plus rien.

Bon gré, mal gré, il entraîne l'adhésion de Pétion, de Vergniaud et de Guadet. Puis il propose à l'Assemblée des « mesures de salut public ». Pour appréhender les « traîtres » et réquisitionner les fusils, il faut autoriser la Commune à pratiquer pendant deux jours et deux nuits dans toute les maisons des visites domiciliaires. Trois mille personnes sont arrêtées et entassées dans les prisons.

Scène de visite domiciliaire - dessin de l'époque - collection particulière

L'Assemblée n'a pas prévu ces excès comprenant enfin le danger d'un pouvoir sauvage et sans contrôle qui la rejette elle-même au néant, par un brusque sursaut elle dissout la Commune. Celle-ci proteste avec violence.

Une délégation conduite par Pétion le 1er septembre présente sa défense à la Législative qui, tremblante, effondrée, n'ose maintenir son décret. Mais la Commune entend se venger. Son comité de surveillance, où domine Marat, s'accorde avec Danton pour assommer l'Assemblée par un coup terrible. Il n'attend qu'un prétexte, et tout de suite l'aperçoit.

Le matin du 2 septembre, le bruit court dans la ville que Verdun, investi à son tour par l'armée de Brunswick, va succomber. Les sections de nouveau crient à la trahison. Sur l'ordre de la Commune, on tire le canon d'alarme, on bat la générale à tous les carrefours. Les citoyens disponibles doivent se rendre armés au Champ-de-Mars, prêts à partir pour Verdun. Une députation de la Commune vient annoncer ces dispositions à l'Assemblée. Vergniaud la félicite. « Vous avez chanté la liberté, conclut-il, il faut la défendre. Il faut piocher la fosse de nos ennemis ou chaque pas qu'ils font en avant pioche la nôtre. »

Danton monte alors à la tribune. Son masque, renversé en arrière, fascine. Sa voix est un tonnerre, son discours un pas de charge. «Tout s'émeut, s'écrie-t-il, tout s'ébranle, tout brûle de combattre ! Vous savez que Verdun n'est pas encore au pouvoir de l'ennemi; vous savez que la garnison a juré d'immoler le premier qui proposerait de se rendre. Une partie du peuple va courir aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra l'intérieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Nous demandons que vous concouriez avec nous à diriger ce mouvement sublime du peuple... Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France sera sauvée !»

Ces derniers mots sont salués par une acclamation impétueuse. L'ovation fracasse les voûtes du Manège pour retomber assourdissante, sur tous les députés debout et tremblants de ferveur patriotique. En vérité, c' est un grand moment... Danton en profite. Il fait proposer par son ami Delacroix un décret prononçant «la peine de mort contre ceux qui refuseront de servir personnellement ou de remettre leurs armes, et contre ceux qui, soit directement, soit indirectement, refuseraient d'exécuter ou entraveraient les ordres donnés, les mesures prises par le pouvoir exécutif».

Le décret est voté sans discussion : Danton est par là même investi de la dictature.

 


Le manifeste de Brunswick, menaçant de détruire Paris si le moindre outrage est fait à la famille royale, met le feu aux poudres. Vers minuit, le tocsin sonne. Les sections éliminent le conseil municipal et constituent la Commune insurrectionnelle. Des colonnes d'ouvriers, ainsi que des fédérés marseillais se mettent en marche vers les Tuileries.

 

 


Aux Tuileries, on vit dans l'attente d'une attaque imminente. Louis XVI ne peut plus compter que sur un millier de gardes suisses. Le roi a passé une nuit blanche et ne s'est assoupi qu'avant l'aube. A six heures, il descend passer les troupes en revue. Pâle, il marche comme un automate. Cette revue des troupes, il la tente sans grand espoir. Les Suisses et les gardes nationaux fidèles crient : « Vive le roi !». Mais les artilleurs crient « Vive la Nation». Et, quand il gagne la terrasse devant la foule, il est assailli par des « A bas le veto »


Quand la reine voit remonter le roi, triste et découragé, elle ne peut retenir ses larmes.

- Sire, dit Roederer, Votre Majesté n'a pas cinq minutes à perdre. Il n'y a de sûreté pour elle que dans l'Assemblée nationale...
- Mais, monsieur, résiste la reine, nous avons des forces.
- Madame, tout Paris marche...
- Allons, il n'y a plus rien à faire ici, dit le roi. Marchons.

La famille royale traverse le jardin entre deux haies de Suisses et de gardes nationaux.

Peu après, les combats commencent. Les émeutiers envahissent la cour du Château.

La bataille fait rage.

A l’Assemblée, le roi, désireux d'épargner le sang de ses sujets, donne l’ordre aux Suisses de cesser le feu.

Devant le succès des insurgés et sous la pression des piques, l'Assemblée prononce la suspension du roi.

La commune victorieuse envoie Louis XVI et les siens à la tour du Temple.

C'est la fin de la monarchie.

 


La Révolution Française - L'Attaque des Tuileries
 

La journée du 10 août 1792, décisive pour la Révolution est, après le 14  juillet  1789, la plus importante des grandes journées révolutionnaires. Certains historiens la qualifient de seconde Révolution. [3] C’est aussi le début de la première terreur, dont le point culminant sera les massacres de septembre. Cette première période prendra fin avec la réunion de la première session de la Convention nationale le 20  septembre  1792 et la victoire de Valmy, acquise le même jour et connue à Paris le lendemain. [4]La préparation de cette journée, lourde de conséquences pour l’avenir du pays et de la Révolution, va consommer la chute de la monarchie constitutionnelle. Son développement est trop complexe pour qu’on puisse en attribuer la responsabilité à un individu ou à une faction. [5]

Cette insurrection et ses conséquences sont communément appelés par les historiens de la Révolution française simplement « le 10 août » ; les autres désignations sont « journée du 10 août », « insurrection du 10 août » ou « massacre du 10 août ».

Massacre des gardes suisses à Paris
Arrestation de Louis XVI.

 

Journée du 10 Août 1792

 

10 août 1792

A huit heures du matin, la première colonne des insurgés paraît au Carrousel. Le combat commence entre neuf heures trente et dix heures. Vers midi, le château des Tuileries est pris d'assaut (376 insurgés tués) *

Vers neuf heures du matin, la nouvelle commune lance sa première proclamation. TEXTE

L'Assemblée nationale décrète : Le peuple français est invité à former une Convention nationale; le chef du pouvoir exécutif est provisoirement suspendu de ses fonction.

 

Journée révolutionnaire qui marqua en France la chute de la Royauté face à la menace extérieure (11 juillet, l'Assemblée législative* avait proclamé la patrie en danger) et à la monarchie, accusée de pactiser avec l'ennemi, se développa un mouvement patriotique; sous l'impulsion de Robespierre*, diverses sections de Fédérés présentèrent à l'Assemblée des pétitions exigeant la déchéance du roi (17, 23 juillet), alors que les Girondins* tentaient de négocier avec la cour.

 

Le manifeste des Bruswick, connu à Paris le 1er août, une Commune insurrectionnelle, dirigée par Pétion*, Manuel* et son substitut Danton*, prit la place de la Commune légale à l'hôtel de ville.

 

Le 10 août, les Fédérés, en particulier la section de Marseille dirigée par Barbaroux*, donnèrent l'assaut aux Tuileries. Le roi et la famille royale s'étaient placés sous la protection de l'Assemblée législative.

 

Celle-ci, lorsque l'insurrection fut victorieuse, prononça la suspension de Louis XVI le 13 août et vota ensuite la convocation d'une Convention*.

 

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Journée du 10 août 1792, estampe d'époque (Bib. nat. Paris)

10 août 1792, chute de la Monarchie, les Tuileries

 

Louis René Binet, massacré le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
Stanislas de Clermont-Tonnerre, assassiné le 10 août
Jean-Nicolas de La Lande d'Olce, massacré le 10 août, place Louis XV à Paris
Gaspard Le Tellier, officier, tué le 10 août
Louis Auguste Forestier, enseigne, tué le 10 août
Jean Baptiste Charles François de Clermont d'Amboise, tué le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
Julien Joseph Berthomme, tué le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
François Louis Suleau, massacré le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
François-Joseph Rochet de Chaux, tué le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
Dominique Treil de Saint-Martial, tué le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
Jean-François de Rafélis de Broves, député aux Etats-Généraux de 1789, massacré le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
Antoine Charles Augustin d'Allonville, massacré le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
Pierre François Alexandre René de Biaudos , massacré le 10 août, en défendant le Palais des Tuileries
Antoine Galiot Mandat, commandant général de la Garde nationale, massacré le 10 août, sur les marches de l'Hôtel de Ville
Arnaud de La Porte, intendant de la Liste Civile, proche collaborateur du roi et de la reine dans leurs efforts antirévolutionnaires, troisième victime de la guillotine, 12 août
Jean Dubois de Crancé, défenseur du Palais des Tuileries, mort à la prison de l'Abbaye le 22 août,
Benoît Sauvade, prêtre, chapelain de la maison royale des Tuileries, exécuté à Paris le 27 août 1792,

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