1er mars 1794
Une facture indique un travail exécuté au deuxième étage de la Tour pour démonter et nettoyer les tuyaux du poêle de la première pièce et les avoir remis en place en dedans, dans sa longue traverse, et en dehors dans toute la hauteur de la Tour
Cet ensemble de documents fait apparaître, d'une part, que diverses personnes entrent dans la chambre et côtoient un enfant qu'ils connaissent et qui les connait, puisque le personnel chargé de l'entretien est permanent et que les travaux ont été effectuées dans les deux Tours, en particulier dans l'appartement des Simon
D'autre part, qu'il n'y a pas eu intention calculée de le priver de feu et de lumière, puisqu'on tente d'améliorer le tirage du poêle et qu'on pose un support pour la lumière
Mais c'est une utopie, étant donné l'épaisseur des murs, la hauteur des pièces, la fermeture des croisées par les abats-jour, la lumière et le chauffage sont inexistants
Le soir, surtout, on oublie de porter une lumière à l'enfant, qui reste seul dans le noir, et lorsque l'économe n'a plus assez de bois, priorité est donnée aux gardes nationaux pour éviter un mouvement de révolte
Pendant six mois, par négligence, manque de soin, par absence de responsable, l'air du ciel et le soleil ne pénètrent plus dans la chambre du petit Capet
A cette époque, l'enfermement de Luis-Charles, plusieurs personnes le voient, de nuit comme de jour, au moment des changements de garde, les municipaux de service exigent de voir l'enfant, rentrent dans la chambre en faisant beaucoup de bruits avec les clés, éclairent son visage à l'aide d'une chandelle, troublent son sommeil pour qu'il leur réponde
cette formalité administrative se reproduit, quotidiennement, plusieurs fois, car les commissaires, responsables sur leur vie de la personne de Louis-Charles Capet, ne veulent courir aucun risque
_"Capet, où es-tu ?"
"Me voilà"
Les mêmes commissaires, reviennent régulièrement, plusieurs fois, dans l'année, puisqu'on respecte l'ordre alphabétique des noms, pour les municipaux chargés des tours de garde
Il est difficile de les tromper, d'autant qu'ils assurent la surveillance par roulement de quatre
Aucun d'entre eux n'a jamais signalé, soit officiellement dans les procès-verbaux quotidiens, soit officieusement, une substitution d'enfant
Malgré la pénombre, il aurait été impossible de ne pas se rendre compte d'une différence de voix et de personne
Il est impossible que des municipaux, qui ont entretenu quelques liens avec l'enfant, n'aient pas signalé, lors de leur présence obligatoire dans la Tour, un changement de personnes s'il avait eu lieu
Beaucoup ont manifesté de l'intérêt pour le petit garçon particulièrement Barelle
Dans les derniers temps de leur garde, lorsque les chefs de la Commune, Chaumette et Hébert ont été guillotinés, la peur de parler est devenue moindre
Les portes-clefs Baron et Gourlet ouvrent les portes aux municipaux e service
Personne n'a rien signalé si ce n'est la puanteur, la saleté et le mauvais état de l'enfant
Si Louis-Charles avait disparu, il aurait été impossible de garder un tel secret, car trop de personnes étaient concernées !
L'horreur de l'enfermement consiste dans le désintérêt, l'abandon collectif de l'enfant
on l'a laissé, livré à lui-même, dans une seule pièce obscure, sans la présence régulière d'un adulte pour le diriger, sans emploi du temps fixe, lui faisant perdre les notions de temps et d'espace
Ses journées interminables, étaient, seulement, coupées par les rondes des gardiens et par les repas journaliers, servis à des heures plus ou moins régulières, peut-être même oubliées, apportés principalement par Caron, garçon servant qui connaît l'enfant depuis les Tuileries
Louis-Charles ne reçoit plus aucun soin nécessaire à la toilette, coupe des ongles, des cheveux, changement de linge
La femme Simon avait pourvu à cet entretien, mais depuis son départ, personne ne l'a remplacée
A force de ne plus voir la lumière du jour, les yeux malades de l'enfant sont blessés par la lumière des lanternes
il végète dans une saleté repoussante
Aucun médecin ne le visite
Les comptes de blanchissage pour le mois de pluviôse (janvier et février 1794) montrent que le Dauphin ne possède pas beaucoup plus que, trois chemises, quatre mouchoirs de batiste, une cravate, deux bonnets de coton
Aucune paire de bas n'apparaît sur les notes de frais
Le dénuement de Louis-Charles devient total
On ne mentionne même plus de linge de lit ni de toilette
Comme la vermine règne dans la Tour, la chambre, qui n'est pas nettoyée, est envahie de souris et de rats attirés par les restes de nourriture et les mauvaises odeurs
Ces animaux ont fait des trous dans les encoignures du corridor communiquant avec la chambre et y ont pullulé
Des araignées noires et énormes se joignent aux rats et aux souris pour courir sur le lit de la petite victime, l'obligeant à quitter son lit et à s'asseoir sur une chaise, en passant le reste de la nuit, les coudes appuyés sur la table
pour obtenir quelques heures de sommeil, l'enfant place son chapeau sur la table en prenant soin de le remplir des restes de nourriture
Les souris et les rats s'y blottissent pour grignoter la maigre pitance que Louis-Charles leur jette, prenant sur la nourriture peu appétissante qui lui est servie dans des plats de terre communs
Soupe, restes de pain, morceau de boeuf, cruche d'eau composent les repas quotidiens
il n'est plus question de vin !
Le petit garçon peut alors s'allonger sur son lit et essayer de trouver le repos
Le plus souvent, il se blottit sur un petit divan où il se recroqueville
Curieusement, jamais ces animaux n'ont porté atteinte au corps du petit Prince
Aucune plainte du prisonnier n'est rapportée
il semble attendre que la Providence dispose de lui
La rumeur du mauvais état de santé de l'enfant se propage et certains fidèles de la famille royale, comme le docteur Le Monnier, se proposent pour le visiter et lui donner des soins, mais se heurtent au refus de la Commune
L'aide de cuisine, Caron, qui assure le service des enfants, en récupérant la vaisselle du petit Prince, résume la situation:
-"Tout est vivant dans la chambre, excepté celui qu'on y tue à petits coups et que l'on assassine en détail...ce n'est plus une forme humaine, c'est quelque chose qui végète, des os et de la peau qui bougent"