15 janvier 1784: L’obélisque de neige A la cour de Louis XVI
A la cour de Louis XVI, janvier 1784
Le 15 janvier 1784, Louis XVI et Marie-Antoinette partirent pour Paris. Ils souhaitaient passer le reste de l’hiver aux Tuileries, où une partie de la cour les avait précédés.
Ils montèrent en carrosse dès les premiers feux de l’aurore et arrivèrent dans la capitale en fin de matinée. À hauteur de la place Louis-XV, toute constellée de neige, le cocher dut modérer l’allure du carrosse.
Puis les chevaux s’immobilisèrent, laissant échapper de leurs naseaux flamboyants de grandes touffes d’haleine lumineuse. Un laquais passa la tête par la portière et s’adressa au roi :
— Sire, nous ne pouvons aller plus loin.
— Que diable se passe-t-il ?
Une petite foule de femmes semblait vouloir se refermer sur le cortège royal.
Une députation des dames de la Halle venait présenter des remerciements à Louis XVI.
— Des remerciements ? s’étonna le roi en regardant les yeux éclatants d’une jeune fille qui venait de s’adresser au monarque.
On la nommait la Vénus des Halles, elle était âgée de quatorze ou quinze ans. Elle avait été désignée pour porter la parole au roi au nom de ses compagnes. L’émotion qui la gagna lui fit oublier sa harangue.
— Sire, s’excusa-t-elle, je n’ai pas de mémoire mais j’ai du cœur. Vous êtes un brave homme, je voudrais vous embrasser.
Louis XVI descendit du carrosse.
— M’embrasser, mon petit ? lui répondit-il avec une bonté paternelle. Mais naturellement.
La Vénus des Halles reçut deux gros baisers sur ses joues rosies par le froid glacial.
Elle fit une révérence et ajouta, cette fois à l’intention de Marie-Antoinette :
— Majesté, j’ai l’honneur d’avoir été choisie pour vous réciter les vers que voici :
De la Reine, c’est la coiffure ;
Sans doute elle est de très bon goût.
C’est bien d’adopter sa parure ;
Prenez-la pour modèle en tout.
En imitant sa bienfaisance,
Faites-vous aimer, respecter ;
Et comme elle sachez porter
Un prompt secours à l’indigence.
— Comme ces vers sont touchants, dit Marie-Antoinette qui avait soulevé le rideau de sa portière pour écouter le compliment, et comme ils sont bien dits ! Soyez-en remerciée, chère enfant.
— Est-ce tout ? demanda ensuite le roi à la jeune fille.
— Non, Sire, je n’ai nul besoin, je suis maintenant plus heureuse qu’une reine, mais j’ai une voisine bien pauvre, qui a onze enfants et que ses créanciers menacent de saisir.
Le roi fit venir la voisine aux Tuileries, où elle dîna avec la cour, assise à la droite de son hôte. Pendant le repas, celui-ci lui promit d’arranger ses affaires. Et il tint parole.
*********************
Au matin du 21 janvier, après la messe, escorté de sa garde, Louis XVI quitta les Tuileries pour se rendre au Louvre. Au coin des rues Saint-Honoré et du Coq, son carrosse fut de nouveau immobilisé. Les forts de la Halle, comme on les nommait, et tous les malheureux de la capitale formaient une multitude autour d’un certain Désiré Pilon. Celui-ci s’avança vers le cortège royal et fit une révérence un peu maladroite au souverain. Comme la Vénus des Halles, il suffoqua d’émotion au moment de parler.
— Je vous tiens quitte de votre discours, lui dit le roi en descendant de son carrosse, ce n’est point par les grandes phrases que l’on sait me plaire. Je préfère des cœurs reconnaissants aux têtes les mieux meublées.
Des larmes dans la voix, Pilon prononça alors simplement :
— Majesté, nous vous devons la vie.
À son signal, la foule s’ouvrit, laissant apercevoir un immense obélisque fait de neige et de glace, dressé dans la blancheur immaculée du sol.
— Ce monument à la fois modeste et glorieux, Sire, est pour vous. Nous l’avons élevé pour le plus charitable des rois.
L’obélisque de neige portait une plaque en cuivre sur laquelle était gravé ce quatrain :
Louis, les indigents que ta bonté protège
Ne peuvent t’élever qu’un monument de neige,
Mais il plaît davantage à ton cœur généreux
Que le marbre payé du pain des malheureux.
Marie-Antoinette se montra infiniment raisonnable lorsque, quelques mois plus tard, elle refusa l’offre de deux joailliers parisiens, Boehmer et Bassenge, venus lui proposer une éclatante collection de six cent cinquante diamants montés en collier d’un montant de 1.600.000 livres, soit la valeur d’un vaisseau de guerre. Elle leur répondit d’ailleurs :
— Nous avons plus besoin d’un vaisseau que d’un bijou.
— Majesté, s’écria Boehmer en se jetant à ses pieds, je suis déshonoré si vous n’achetez point notre collier. Je ne veux pas survivre à tant de malheurs. D’ici, Majesté, je pars pour aller me précipiter dans la rivière.
— Levez-vous, Boehmer. Je ne vous ai point commandé ce collier, ne m’en parlez donc jamais. Tâchez de le diviser et de le vendre, et ne vous noyez pas. Je vous sais très mauvais gré de vous être permis cette scène de désespoir en ma présence.
********************
On connaît la suite. La hautaine et intrigante comtesse de La Motte mystifia le crédule cardinal de Rohan, qui désirait son retour en grâce auprès de Marie-Antoinette. Le prélat se laissa jouer par un sosie, parfait dans le rôle usurpé de la reine, un soir d’août 1784, dans l’obscurité du bosquet de Vénus. Ce fut le début de la célèbre « affaire du collier ». Le procès du cardinal de Rohan se mua en un véritable débat entre les partisans de l’« Autrichienne », dont la réputation se voyait ternie par le scandale, et les ennemis de la monarchie.
— La reine impliquée dans une affaire de faux ! s’écria le président de Corberon le dernier jour du procès. Quel triomphe pour les idées de liberté !
En Allemagne, Goethe écrivit : « L’histoire du collier forme la préface immédiate de la Révolution française. » Il y eut d’autres prémices des événements révolutionnaires, parmi lesquelles les conséquences de l’hiver 1788, plus rigoureux encore que celui de 1783-1784. Les conditions de vie désastreuses des Français pendant ces quatre-vingt-six jours de gel, auxquelles ne répondit que le désintéressement de la cour, furent l’un des signaux évidents du soulèvement de juillet 1789.
Profitant alors du chaos révolutionnaire mené par le menu peuple, des intellectuels aisés prirent la direction du pays et s’époumonèrent à la tribune de la Convention pour faire abolir les privilèges, mais aussi d’ancestrales traditions religieuses.
Les messes de minuit et de Noël, entre autres, jugées comme étant des « restes des orgies des Égyptiens », furent proscrites. Au lendemain de la journée du 10 août 1792, ils réclamèrent la tête du roi. Louis XVI fut incarcéré avec sa famille au couvent des Feuillants puis, en octobre, à la prison du Temple. C’est là, le jour de Noël, qu’il rédigea son testament. Il écrivit entre autres :
« Je recommande à mon fils, s’il avait le malheur de devenir Roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément tout ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j’éprouve.
Qu’il ne peut faire le bonheur des Peuples qu’en régnant suivant les Lois, mais en même temps qu’un Roi ne peut les faire respecter, et faire le bien qui est dans son cœur, qu’autant qu’il a l’autorité nécessaire, et qu’autrement, étant lié dans ses opérations et n’inspirant point de respect, il est plus nuisible qu’utile. »
Son valet de chambre Cléry porta son testament le lendemain, 26 décembre, à la Commune de Paris. Le même jour, il comparut devant ses juges. Il déclara pour sa défense : « Ma conscience ne me reproche rien. Je n’ai jamais craint que ma conduite fût examinée publiquement, mais mon cœur est déchiré de trouver dans l’acte d’accusation l’imputation d’avoir voulu répandre le sang du peuple. J’avoue que les preuves multipliées que j’avais données dans tous les temps de mon amour pour le peuple, et la manière dont je m’étais toujours conduit, me paraissaient devoir prouver que je craignais peu de m’exposer pour épargner son sang, et éloigner à jamais de moi une pareille imputation. »
Sa mort fut votée à l’unanimité le 17 janvier 1793 par les sept cent vingt et un députés de la Convention. Le 21, il monta à l’échafaud, place de la Révolution, ancienne place Louis-XV. C’est au même endroit qu’un jour de janvier 1784 la Vénus des Halles avait demandé à l’embrasser. À quelques pas de là, face au Louvre, se trouvaient les rues Saint-Honoré et du Coq, où, neuf ans plus tôt, jour pour jour, le 21 janvier 1784, un obélisque de neige avait été dressé à sa gloire par des indigents.
© Editions de L’ Archipel - 2011