28 janvier 1793: Marseille
Le lundi 28, les boutiques furent fermées, en signe de joie, les navires furent pavoisés, et, à la nuit, il y eut illumination générale.
Ce soir là, au Grand-Théâtre, on jouait le Guillaume Tell de Lemierre ; (1 ) le spectacle fut inter
(1) Ce fait et plusieurs de ceux qui vont suivre sont empruntés à un ouvrage inédit, intitulé Notes, pour servir à l'histoire du théâtre et des spectacles à Marseille et en Provence,
rompu par une farandole générale.
C'était bien le moins qu'on pût faire pour témoigner la part que prenaient nos révolutionnaires à l'exécution de Louis XVI.
La nouvelle en avait été apportée par un courrier extraordinaire.
La consommation du plus grand crime politique des temps modernes fut annoncée par une lettre d'Alexandre Ricord, portant textuellement: « Cejourd'hui 21 janvier, à dix heures vingt minutes avant midi, et sur la place de la Révolution, Louis Capet, dernier roi de France, a été fait pic, repic et capot »
Ce n'était pas assez de la farandole dansée à Marseille sur le même théâtre où , dix ans auparavant , l'idolâtrie royaliste , en réjouissance de la glorieuse paix de 1783 , organisait, pour Louis XVI, l'apothéose des Fêtes de la Paix, la mémorable comédie de Blanc-Gilly qui, depuis... mais alors il était plus royaliste que le roi.
En 1793, ce fut par ordre que Marseille dut se réjouir; on dansa une autre farandole au théâtre Pavillon: une illumination générale et spontanée dut être faite, du haut en bas des maisons, toujours au nom de la liberté.
La municipalité invita les citoyens à suspendre leurs travaux , à fermer les ateliers et boutiques, pour célébrer, par des réjouissances publiques, la chute de la tyrannie; des bandes de patriotes parcoururent les rues principales, en criant : A la lanterne les royalistes l
Mais comme il commençait à ne plus y avoir de bonne fête sans guillotine, pour se donner un vernis d'impartialité,
la démagogie, maîtresse de Marseille, ordonna l'exécution d'un forcené jacobin, nommé Pierre Bernard, auiuisé de concussion, et dont la tête tomba, le 29, à la plaine Saint-Michel.
Ce même jour, la section du Manége ( faubourg Sylvabelle ) célébra une fête particulière en réjouissjnce de l'exécution de Louis XVI.
On avait formé autour de l'arbre de la liberté, planté hors la Porte de-Kome, un temple de verdure, dans lequel on dansa le jour et la nuit.
Le soir, on brûla des barilschmix. toutes les maisons de la section furent illuminées ; on rôti huit moutons entiers, qui furent distribués aux pauvres , avec du pain et deux barriques de vin.
Les sections St-Jean, St-Ferréol, de la Trinité et Si-Thomas , firent successivement leurs fêtes particulières, « toujours, disait le bonhommeBaugeard dans son Journal de Marseille, avec autant d'ordre que de gaîté »
La section Notre-Dame-du-Mont célébra la sienne le dimanche 10 février.
Uu arc-de-triomphe élait élevé à l'extrémité de la rue des Minimes , devant l'église de ces Pères, aujourd'hui détruite; il y eut messe militaire, banquet civique, danses et feu d'artitice.
Le maire Mouraille, qui demeurait dans le quartier, assista à cette fête, ainsi que les autres autorités, dont l'arrivée fut saluée par le canon.
Le même jour, fête à la section des Chartreux et de la Madeleine.
Les autres sections se dispensèrent de célébrerleurs fêtes, et annoncèrent que l'argent qu'elles auraient coûté serait consacré à des actes de bienfaisance.
La grande infortune de Louis XVI, en exaltant les sentimens des royalistes, devait aussi opérer des conversions dans les rangs même des ennemis de la royauté.
Nous en citerons une, entr'autres, qui lit beaucoup de bruit dans Marseille, celle de François Allemand, à peine âgé de vingt ans , et qui devait neuf mois plus tard périr sur l'échafaud, comme convaincu du crime de contre-révolution.
Ce malheureux jeune homme appartenait à une famille d'honnêtes commercans.
Son, frère, le saint abbé Allemand, fondateur, dans notre ville, au rétablissement du culte, de l'Œuvre de la jeunesse, qui fait l'admiration de tous ceux qui la connaissent et savent en apprécier les bienfaits, n'avait pas manqué de l'éclairer sur les conséquences fatales de sou exaltation révolutionnaire; mais François Allemand était l'ami intime du conventionnel Barbaroux, et de plus , son secrétaire particulier.
Poussé par les circonstances, entraîné par cette fièvre de rénovation qui, à cette époque, volcanisait tous les esprits, il ne voyait l'avenir qu'à travers les illusions que son séduisant ami Barbaroux nourrissait en lui.
Ce fut dans ces dispositions d'esprit qu'il accompagna ce conventionnel à Paris; il assista au jugement, à la condamnation, au supplice de Louis XVI, et, quelques jours après, il revint de la capitale, le cœur centristé.
On put bientôt reconnaître, au changement qui s'opéra dans sa manière de juger les hommes et les choses, que son âme ardente et généreuse avait été profondément remuée par les événemens qui marquèrent les derniers jours du meilleur des rois.
François Allemand, comme nombre d'autres Marseillais, avait rapporté de Paris un mouchoir empreint dé quelques gouttes du sang de Louis XVI; mais loin de montrer, ainsi que le firent quelques jacobins forcenés de Marseille, ce témoignage de leur présence sur le lieu du supplice, comme une preuve de haine à la royauté, c'était les larmes aux yeux et avec les sentimens d'une pieuse vénération que François Allemand faisait voir, à quelques fidèles et dans des maisons amies, cette précieuse relique, empreinte du sang du roi-martyr.
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La mort de Louis X.VI plongea l'Europe dans la stupeur.
L'impératrice de Russie ordonna un deuil de six semaines et publia une déclaration à ce sujet.
Le roi de Sardaigne fit célébrer un service solennel etassista,avec toute sa cour,au panégyrique de Louis XVI, qui fut prononcé dans sa chapelle particulière.
La cour de Vienne prit le deuil pour vingt jours, et la famille royale demeura renfermée pendant ce temps; l'Espagne déclara la guerre à la Convention.
Mais, entre toutes ces manifestations, la plus touchante fut celle du Souverain-Pontife Pie VI, qui, dans une énergique allocution ,s'éleva avec force contre les auteurs de ce crime inouï, le plus affreux, le plus digne de l'exécration des siècles.
Il rappela les hautes vertus de Louis XVI, de ce prince doux, bienfaisant, plein de clémence, patient, ami de son peuple, ennemi de la rigueur et de la sévérité, indulgent et facile pour tout le monde, il prédit ensuite les malheurs qui allaient fondre surnoire malheureuse patrie, et gémissant sur le sort de cette partie la plus précieuse de son troupeau; il s'écria : « 0 France! que nos prédécesseurs proclamaient le miroir de tout le monde chrétien, « la colonne immobile de la foi; toi qui marchais, « non à la suite mais à la tête des autres nations, « dans la ferveur de la foi chrétienne et la soumis« sion à l'autorité du siége apostolique, combien « aujourd'hui ne t'es tu pas éloignée de nous! Quelce le animosité t'aveugle sur la véritable religion et « t'a poussée à des excès de fureur qui te donnent In « premier rang parmi les plus cruels persécuteurs? « Et cependant pourrais-tu, quand tu le voudrais. « ignorer quelle est cette religion, le plus ferme « appui des empires, parce que c'est elle qui réprime « et les abus du pouvoir dans ceux qui gouvernent, « et la licence dans ceux qui obéissent? Aussi voilà « pourquoi ceux qui en veulent aux droits de l'auto« rité royale, aspirent, pour la renverser, à l'anéanti tissement de la foi catholique. »
Mais faisant trêve à ses lamentations, le vtnérable Pontife terminait ainsi cette belle et courageuse allocution:
« Jour de triomphe pour Louis 1 dit-il; oui, « nous avons la confiance que le Seigneur, de qui « lui venait ce courage qui brave la persécution « et rend supérieur a la souffrance, l'a appelé dans « son sein, changeant pour lui une couronne ter« restre , hélas I si frêle , et des lys sitôt flétris « contre une autre couronne impérissable, tissue« He ces lys immortels qui ornent le front des bieu« heureux! (1).
En terminant cette allocution que la Convention , cela va sans dire, ne permit de publier en France, Pie VI ordonna un service funèbre qui fut célébré avec la plus grande pompe dans la chapelle du Quirinal. Sa Sainteté y assista, entourée du SacréCollège et des ambassadeurs des puissances étrangères L'oraison funèbre fut prononcée en latin par Mgr Leardi de Casal-Montferrat. Une traduction française en fut donnée par l'abbé d'Auribeau.
Se douterait-on qu'il existe une tragédie, composée à l'époque même de 93, sur la mort de Louis XVI; rien pourtant de plus réel. Elle fut imprimée et publiée chez les marchands de nouveautés ; le frontispice de la brochure portait trois fleurs de lys.
Au début de la pièce, les trois défenseurs du roi déchu confèrent au sujet de son procès qui s'entame. Desèze rapporte qu'il vient de voir Louis, calme et ferme, dans sa prison.
Son cœur inaccessible aux remords, à la crainte, Du calme de son front a réfiéchi l'empreinte; Du diadème enfin jamais la majesté N'égala de ce front la noble nudité. Dans une autre scène , quelques-uns des juges du royal accusé émettent leur sentence, par anticipation:
(•1) Cette allocution fut traduite immédiatement en français par l'abbé , depuis cardinal , Maury. Nous empruntons ces quelques détails à l'Eloge de Pie VI, de M.Charles du Rozoir.
*
GARRAN.
Je suis législateur et politiquement
Je promets de voter pour le bannissement.
ROBESPIERRE.
Puissent, puissent ces rois qui \initient nous com
( battre N'avoir tousqu'une tête, et moi, d'un coup l'abattre !..
Plus loin, il s'écrie:
Damiens 1 ton noble sang bouillonne dans nos veines.
Dans cette tragédie, Robespierre et Marat ne sont que des complices du duc d'Orléans à qui, pour régner, la mort de Louis est nécessaire.
Au second acte, Louis XVI utilise les loisirs de sa prison en instruisant le jeune dauphin et lui racontant la mort de Charles 1" d'Angleterre. Survient Malesherbes qui annonce au roi sa condamnation à mort.
Au troisième acte, scène déchirante de Psntrevue suprême de Louis XVI avec sa famille. Marie-Antoinette, égarée par la douleur, veut que son h'Is venge, quelque jour, la mort de sou père assassiné. Louis calme ce transport et ne veut parler que de pardon. Le confesseur se présente, la reine s'évanouit, et l'on entraîne Louis sur l'ordre de Santerre.
Allons, sans nul retard
Dans le sein du despote enfoncer le poignard!
L'auteur de cette pièce était Aignan, qui fut, plus tard, de l'Académie française. Il avait vingt ans, à
tette époque. Littérateur des plus médiocres à vingt ans comme à soixante , Aignan ne fut pas, d'autre part, un royaliste modèle. Sous la Restauration , il écrivait dans la Minerve., une des feuilles les plus hostiles au gouvernement de Louis XVIII.
En 1793, on imprima aussi une autre tragédie , intitulée le Martyre de Mark-Antoinette ; une autre encore en trois actes, Elisabeth de France.
On chantait ea même temps une complainte qui l'ut une voçue prodigieuse ; elle était sur l'air de la romance dite du Pauvre, Jacques, que l'on savait affectionnée par Marie-Antoinette. Le dernier couplet faisait dire au roi, dont tout le crime avait été sa trop grande bonté:
Si ma mort peut faire votre bonheur,
Prenez mes jours, je vous les donne...
Votre bon roi, déplorant votre erreur,
Meurt innocent et vous pardonne
Reste à mentionner, pour mémoire, la Mort de L- uis XVI, tragédie en cinq actes et en vers , par messire baron de Cholet, marquis de Dangeau , imprimée à Marseille , par Terrasson , vers 1820. Ce baron était une caricature de poète , dont se divertissaient beaucoup, au temps de la Restauration , les jeunes littérateurs marseillais , les deux frères Méry surtout. Nous nous abstiendrons de rien citer de cette insigne rapsoilie ; la pièce est risible d'un bout à l'autre ; mais à propos d'un sujet si cruellement trempé de larmes, le rire ne dépasserait-il pas l'inconvenance, ne toucberait-il pas au crime"?