21 janvier 1793: 8 H du matin
Ce lundi 21 janvier, le brouillard des mauvais jours s'appesantissait sur Paris
Il faisait froid et une neige triste se mêlait à la boue
il avait plu une partie de la nuit
L'épaisseur des murs du Temple, loin d'isoler la prison, faisait résonner jusqu'au fond des pièces les bruits insolites en provenance de la capitale
"C'est probablement la garde nationale qu'on commence à rassembler", fit le Roi
Rien ne lui échappait du cliquetis des armes, du hennissement des chevaux, du roulement des canons
Sur tout le parcours une armée de 80 000 gardes nationaux avait été mobilisée, baïonnette au canon, auxquels s'ajournaient les gendarmes et la cavalerie
Trois mille six cent hommes, des légions occupaient les points stratégiques, de l'Hôtel de Ville aux Champs-Elysées et, près de 1 500 gardes nationaux protégeaient les prisons
D'ordinaire, le bourreau officiait place du Carrousel
On avait jugé celle-ci trop étroite pour un tel spectacle
pour la mort d'un roi il fallait une mise en scène grandiose et effrayante à la fois, un rituel collectif, en presence d'un impréssionnant déploiement de troupes
Sur l'ordre du Conseil exécutif, la guillotine fut donc installée place Louis XV, devenue place de la Révolution
* * * * *
A huit heures
Hébert a fait désigner pour accompagner le Roi deux prêtres jureurs, membres de la Convention et farouches patriotes, Jacques Roux et Jean-Claude Bernard
On entendit la cavalcade d'un détachement entrant dans la cour du Temple et la voix forte des officiers, criant leurs ordres
puis la grosse porte de chêne du bas, chargée de verrous et de barres de fer, s'ouvrit dans un fracas:

C'est Antoine Joseph Santerre qui arrive au Temple avec des commissaires de la Commune et des gendarmes.
Nul ne se découvre.
il est interrompu par qui commande les gardes nationaux, mais lui rétorque
- Vous venez me chercher? interroge le roi.
- Oui.
- Je vous demande une minute.
"Je suis en affaire, dit le Roi; attendez-moi là, je serai à vous" et refermant la porte de la tourelle, il se jeta aux genoux du prêtre
Il reçoit une dernière bénédiction de l'abbé en lui confiant:
"Tout est consommé, Monsieur; donnez-moi votre dernière bénédiction et priez Dieu qu'il me soutienne jusqu'à la fin"
Le Roi se releva et rentra dans sa chambre, s'y munit de son testament s'approcha d'un municipal et le lui tend et se remet aux mains de Santerre.
C'était le farouche vicaire assermenté qui se trouve être le défroqué Jacques Roux, qui se faisait appeler le "prédicateur des sans-culottes"
il le pria de remettre son testament à sa femme après en avoir fait lecture à la Commune
Louis recommanda à la Commune Cléry dont il n'avait eu qu'à se louer, désirant qu'il restât au Temple pour être au service de la Reine
- Je vous prie de remettre ce papier à la reine...
Il se reprend, dit: « à ma femme »
- Cela ne me regarde point, répond Roux.
Je ne suis pas ici pour faire vos commissions, mais pour vous conduire à l'échafaud.
- C'est juste, dit Louis...
Un autre commissaire Godeau accepte de s'en charger et s'empare du testament qu'il remettra non à la reine, mais à la Commune.
Louis est vêtu d'un habit brun, avec gilet blanc, culotte grise, bas de soie blancs.
Cléry lui présente sa redingote.
- Je n'en ai pas besoin, donnez-moi seulement mon chapeau.
Comme les soldats avaient tous leur chapeau sur la tête, le Roi demanda le sien, le tricorne avec lequel il était sorti des Tuileries le 10 août, mais orné d'une cocarde nationale toute neuve
Il lui serre fortement la main, puis, regardant Santerre, dit d'un ton ferme :
- Partons.
8 H 30
D'un pas égal, il descend l'escalier de la prison.
A l'entrée de l'escalier, il croisa Mathey, le concierge de la tour, avec son éternel trousseau de clés:
"J'ai eu un peu de vivacité avant-hier encers vous, s'excuse-t-il; ne m'en veuillez pas"
Au milieu des gendarmes rangés en haies, le Roi traversa en silence la première cour, il se retourne et regarde à deux reprises dans le ciel grisâtre la masse sombre avec ses revêches bonnets pointus et particulièrement l'étage où sont les siens : au double roulement qui a retenti lorsqu'il a franchi la porte de la Tour, ils se sont précipités vainement vers les fenêtres, obstruées par des abat-jour.
"Au mouvement qu'il fit, écrit l'abbé de Firmont, on voyait qu'il rappelait sa force et son courage"
- C'en est fait, s'écrie la reine, nous ne le verrons plus !...
Après avoir franchi le coprs de garde, le cortège traversa les salons du palais
Dans la cour d'honneur du Temple attendait une voiture de couleur vert bouteille
Un lieutenant et un maréchal des logis de la gendarmerie, armés de fusils, se tenaient à la portière
C'était la voiture que le maire Chambon, par soucis d'humanité, avait obtenue du Conseil exécutif, à la place de la charrette du bourreau
Le roi et l'abbé montent dans cette voiture et se placèrent sur la banquette d'honneur, les deux gendarmes sur celle du devant
Un lieutenant de gendarmerie et un maréchal des logis s'assoient en face d'eux sur la banquette de devant.
Précédés de grenadiers en colonnes denses, de pièces d'artillerie, d'une centaine de tambours, les chevaux partent au pas...
Les fenêtres, comme les boutiques, par ordre restent closes.
Dans la voiture aux vitres embuées, Louis, la tête baissée, lit sur le bréviaire du prêtre les prières des agonisants.
Toutes glaces fermées, la voiture s'ébranla au bruit d'une fanfare de tambours et de trompettes
Elles était précédée de cent gendarmes à cheval, de quatre canons, suivie d'autant, en entourée de douze cents hommes des sections
A l'arrière-garde venait un détachement à cheval de l'Ecole militaire
Les boulevards traversés (Boulevard du Temple, Saint-Martin et Saint-Honoré, où la circulation avait été interdite, étaient frangés d'une double, voire d'une triple rangée de gardes nationaux et de sectionnaires munis de piques (deux cents hommes par section)
Le brouillard ne parvenait pas à se dissiper
il faisait sombre et les réverbères étaient restés allumés
Il n'y avait ni badauds ni curieux aux fenêtres, les autorités ayant enjoint à la population de les tenir fermées
Comme un carrosse un jour de liesse, la voiture roulait au pas
Mais c'était un cortège lugubre, accompagné d'un roulement de inninterrompu de tambours